Publications (sélection)

« Ariane Loze. If you didn’t choose A, you will probably choose B », collection Frac Île-de-France, 2024.
« Nge Lay. Home », collection Frac Île-de-France, 2024.
« Léa Guintrand. Technicentre », collection Frac Île-de-France, 2024.
« Virginie Bigot », Friction(s) Fiction(s), DOC, Paris, 2024.
« Geörgette Power », Prismes, BAM projects, Parempuyre, 2024.
Catalogue de l’exposition la morsure du détour, Saint-Ouen, 2024.
« Killian Abautret »
« Emma Barbot-Lebrun »
« Axelle Cassini »
« Soukaina Chadli »
« Houssem Cherif »
« Juliette De Sierra »
« Sophia Eustache »
« Paloma Harquet »
« Nicolas Jenot »
« Leia Lebert »
« Karina Quitral »
« Thuanne Silva »
« Alice Velte »
« Iria Vilas Iglesias »
« Zoé Bernardi. Devenir soi », 2024.
« Soraya Rhofir. Une brèche », Novembre à Vitry, Galerie municipale Jean Collet, V
itry-Sur-Seine, 2024.
« Haitian Chen. Les fenêtres », Blop, DOC, Paris, 2023.
 « David de Beyter », The Skeptics, Institut de la photographie, Lille, 2023.
« Louis Andrews. Compte-rendu d’un arpentage », 281, DOC, Paris, 2022.
« Giuliana Zefferi. Tenir en un seul morceau », Sa mémoire dans la maison vide, souffle comme une brise dans les rideaux blancs, Fondation Fiminco, Romainville, 2022.
« Jean-Baptiste Perret. Parler sa propre langue », Jeunes Critiques d’art, 2021.
« Anna Tomaszewski. Devenir pierre », Pleins Feux, Fondation Fiminco, Romainville, 2021.
« Pol Pi. Galatée émancipée », critique de la performance Me too, Galatée de Pol Pi, Centre Pompidou, Paris, 2020.
« Zeppelin Bend. Sœurs jumelles », critique de la performance Zeppelin Bend, Katerina Andreou, Centre Pompidou, Paris, 2020.
« Jean-Baptiste Perret. Sans casser des œufs », L’Almanach des aléas, Fondation d’entreprise Pernod-Ricard, 2019.
« Margaret Harrison, le féminisme en cape et talons aiguilles », Danser sur les missiles, Frac Lorraine, Metz, 2019 .


« Virginie Bigot », Friction(s) Fiction(s), DOC, Paris (29.09.24 - 13.10.24)

Arrêt sur image. Notre regard s’accroche à un geste, un drapé, une couleur. Une figure aimée ou anonyme se détache. Discrète, elle traverse un environnement urbain aux contours indistincts. Ses mouvements sont suspendus à travers deux espace-temps, figés dans un intervalle aux teintes froides. Virginie Bigot peint l’entre-deux. Elle se saisit de fragments qu’elle observe ou invente et (dé)compose ses tableaux et ses dessins à partir de détails.

L’artiste déplie des histoires d’errance et de mélancolie. Dans les scènes qu’elle construit, aucun climax à l’approche. Protagonistes immobiles, ses portraits se font l’écho d’une poésie de l’ordinaire. Iels sont les témoins d’une solitude citadine, engluée dans un quotidien fragile. Souvent sans nom et sans visage, ces personnages inconnu·es traversent des lieux intermédiaires. Le temps semble se distordre, s’étirer jusqu’à une autre dimension. Virginie Bigot bouleverse nos repères géographiques et intimes, en jouant avec les échelles. Elle fait émerger des cadres, comme des fenêtres entrebâillées sur d’autres tableaux. Dans cette mise en abyme, les temporalités s’entrechoquent, mais il n’est pas toujours possible de saisir cet autre récit.

Parfois, la peinture s’absente. À la marge, la couleur disparaît et laisse place à une réserve de toile. Un espace blanc comme une didascalie. La perspective en est troublée. Une histoire parallèle apparait : celle de l’abstraction. La peinture devient texture, matière textile ou boiserie. Entre réel et irréel, Virginie Bigot nous propose des tableaux à l’architecture hybride, inachevée ou plutôt, toujours en construction, comme une identité multiple, que l’on tente de circonscrire.

« Geörgette Power », Flaque(s), dans le cadre de “Prismes”, BAM projects, Parempuyre (26.04.24 - 27.04.24)

Geörgette Power est un conteur de paysages. Il arpente un lieu, le quadrille et débusque son histoire et les récits qui l’accompagnent. Parfois, il se saisit des rumeurs, de ce qu’on raconte en marmonnant, et les transmute avec humour. Sa méthode ? L’agglomération poétique et le brouillage numérique.

Ses vidéos se construisent comme des collages oniriques. Bâties sur les gisements d’un folklore local et de la culture populaire, des formes hybrides nous y apparaissent. Au réel s’agrègent des artifices visuels et des voix de synthèse. À leur contact, les éléments urbains s’altèrent. La végétation s’enroule et se déforme, tandis que des animaux en 3D s’égarent dans l’espace public. En fond, une autre narration se construit, souvent en langue étrangère. Son bégaiement informatique creuse un écart. Cette voix off se fait l’écho d’un contre-récit, celui qui ne s’entend que lorsque nos paupières sont fermées. Pourtant, une porosité se crée. Rien ne nous sépare de notre environnement.

Avec Flaque(s), Geörgette Power ravive la mythologie du territoire de Parempuyre et nous invite à plonger dans ses eaux troubles, aux multiples strates. Sous le ciel bleu du bois d’Arboudeau, quelques traces de l’orage de la veille subsistent. L’air est humide, empreint d’argile et de rêves visqueux. À la recherche de créatures mystérieuses et guidés par des croassements électroniques, nos pas s’avancent doucement sur un sol spongieux. La métropole bordelaise se construit sur des marécages. Leur assèchement est source de nombreuses légendes, dont certaines perdurent encore.

Au bord de l’estuaire, à l’embouchure des rues et du lac, les habitant·es scrutent avec méfiance les roseaux. À chaque instant, iels s’apprêtent à surprendre bondir un grenome, tapis dans l’ombre du « nouveau » marais d’Olives. La politique de restauration écologique de cette zone intermédiaire, détériorée par plusieurs siècles d’intervention humaine, ravive le souvenir des hommes-grenouilles. Figures d’un passé englouti, ces chimères insulaires évoquent notre rapport à ce qui nous entoure, aux espèces en voie de disparition et à l’eau croupie.

Réparer, reproduire, rembobiner… Le processus de « renaturation », entamé depuis quelques années sur le site du marais, a vocation à repenser un équilibre entre les êtres humains et non-humains. Abstraite et évanescente, cette fameuse « nature » s’évanouit, dès lors que l’on tente de la figer. L’artiste matérialise son caractère artificiel, en brouillant les pistes. Au cours de notre promenade, nous ne parvenons pas toujours à distinguer le vrai du fabriqué. Les chants des oiseaux s’entremêlent à la musique ambiante, diffusée par des sculptures-fleurs-pensées. Le temps et les objets se superposent. Comme dans un énoncé performatif, Geörgette Power nous informe qu’un espace de convivialité est possible entre les différentes espèces, avec ou sans renaturation.
« Killian Abautret », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

Liés à notre identité et aux gens que l’on aime, certains lieux agissent comme une obsession. Il est impossible de s’en défaire, de penser ou d’écrire sur autre chose. Une fois parti·e, le flou des souvenirs s’imprègne en nous. D’origine bretonne, Killian Abautret déploie une narration intime, dans laquelle ses textes et ses photographies dialoguent ensemble. 

Entre images fantasmées et mémoire troublée, Brest hante son imaginaire. L’artiste compose un portrait parcellaire de sa ville natale, toujours perçue à distance. Dans ses photographies et ses vidéos, prises lors de ses déplacements, loin de ses proches, les figures sont absentes ou indistinctes. Seules les ombres subsistent. Il saisit des paysages intermédiaires, maritimes ou citadins, rencontrés au détour de ses voyages. L’utilisation d’un appareil défaillant creuse l’éloignement qui le sépare de Brest. 

Nébuleux, baignés d’une lumière évanescente, ces tirages manquent de clarté et se font l’écho d’une amnésie potentielle. La technique du transfert abîme les images et devient le signe d’une mémoire imparfaite, qui s’érode avec le temps. Cette perte de repères spatio-temporels se traduit dans l’écriture par le tâtonnement poétique.
Killian Abautret, Une tête s’aère-t-elle comme une maison ?, transferts sur gel acrylique, collage sur verre, 2024 © Juliette De Sierra



« Emma Barbot-Lebrun », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

Assise à la terrasse d’un café ou recroquevillée au creux d’un lit défait, Emma Barbot-Lebrun s’efforce à saisir les sensations qui parcourent son corps ou les pensées fugaces qui la traversent. Elle contemple le temps qui s’écoule, scrute son passage indéfectible et compare chaque instant, à la recherche d’une dissemblance. 

Réminiscences de l’éphémère, ses poèmes, ses photographies et ses vidéos nous offrent un aperçu de son intériorité mouvante et impénétrable. Afin de déceler les écarts, elle réitère inlassablement les mêmes gestes, recourt à des métaphores et à des subterfuges techniques. Attentive à la lumière et aux mouvements, elle mêle différents procédés photographiques. L’argentique côtoie ainsi des photogrammes et des vidéos numériques, tandis que des motifs récurrents émergent de ses oeuvres. 

Parmi des éléments géométriques abstraits, on distingue une robe blanche, un soutien-gorge ou une culotte. Ces vêtements, portés au plus près de la peau, évoquent cette intimité fuyante. Toujours en noir et blanc, son travail révèle des fictions sensuelles. Une distance se creuse : ce qui est montré n’est plus privé.

Emma Barbot-Lebrun, C. tourne ses bas, installation vidéo, projection, télé cathodique et robe blanche sur cintre, 2021 © Emma Barbot-Lebrun
« Axelle Cassini », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

Quels bruits font nos regards ? Ceux qui se posent sur les corps féminins sont bruyants. Un brouhaha empli de clichés et de stéréotypes de genre. Ils figent les gestes, façonnent nos costumes et nous réifient, cloîtrées dans des cases étroites comme des femmes gelées. 

Pour échapper à cette prison argentique, Axelle Cassini s’approprie son image. Son travail se compose d’autoportraits, dans lesquels sa figure est mise en scène. Autour de sa silhouette, le décor est épuré : un rideau, du parquet, parfois une chaise. Dans ce théâtre en noir et blanc, seule sa présence résonne. L’artiste prend la pose, debout, le regard face caméra et le déclencheur dans la main. Vêtue d’une marinière ou d’une chemise avec cravate, elle adopte des postures identifiables. Chacune de ses photographies raconte une histoire singulière et se double d’une trame épaisse, où les rôles se succèdent et les identités se multiplient. 

Performeuse polycéphale, Axelle Cassini se joue des regardeur·ses et des poncifs. Elle s’empare également de la broderie, pratique dévolue aux femmes, comme support de son écriture poétique. Cousus de fils rouges et rédigés en anglais, ses poèmes racontent le quotidien, l’absence et les amours lesbiennes.
Axelle Cassini, sans titre (autoportrait), photographie argentique, tirage argentique, 2023 et sans titre (série The Leftovers), broderie sur tissus, 2023 © Axelle Cassini
« Soukaina Chadli », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

Dans les magazines, on feuillette des corps féminins, dissimulés, protégés ou contraints par des habits en vogue. On dit que c’est une jolie silhouette, que le tissu tombe bien et surtout, que ça rend sexy. Simple ornement, armure ou prison, les vêtements sont des marqueurs sociaux et des vecteurs de désirs, qui transforment les femmes en objets de fantasme. 

L’histoire du regard et de la mode s’entremêlent : ceux qui contemplent, façonnent et chosifient les corps sont toujours des hommes. Pour contrer cette vision masculine, Soukaina Chadli s’appuie sur son expérience de styliste et reproduit les conventions du prêt-à-porter. L’artiste crée son propre vestiaire de pièces inadaptées : lors de séances photo, elle se drape d’une robe excessivement serrée, s’étouffe dans un corset oppressant ou encore se réapproprie sa féminité avec une chemise trempée. Si ses photographies reprennent l’esthétique épurée de la presse spécialisée, un voile morbide subsiste. Comme sur une scène de crime, l’objectif est le témoin des moments où le corps est malmené par des habits immettables. 

Chacune des expérimentations textiles de Soukaina Chadli vient questionner les normes de la mode, l’uniformisation des tailles et des représentations qu’elle impose, ainsi que l’hypersexualisation de ses modèles.
Soukaina Chadli, Série expérimentation n°4, 25 tirages manipulables, 2022 © Juliette De Sierra
« Houssem Cherif », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

Dans les rues, dans nos chambres ou dans le prolongement de nos mains, un oeil nous fixe. Outils d’enregistrement et de surveillance, les caméras ont envahi nos sociétés contemporaines. À l’ère de la transparence et de l’obsession sécuritaire, Houssem Cherif s’intéresse aux dispositifs de contrôle et à la manière dont la technologie conditionne nos mouvements et nos perceptions de la réalité. 

Amateur de hacking, l’artiste dérobe des images de vidéosurveillance et s’introduit dans le quotidien d’inconnu·es. Il rejoue le piratage et la collecte d’informations afin de questionner nos façons de regarder. Ses photographies, travaillées en série, oscillent entre une esthétique documentaire et de science-fiction. À travers son objectif, l’artiste observe les appareils électriques se greffer à l’environnement, allant quelques fois jusqu’à fusionner avec l’architecture citadine. Communément invisible, la vidéosurveillance est ainsi exposée sous les feux des projecteurs. 

Houssem Cherif détourne le regard indiscret sur lui-même. Il établit une typologie des appareils existants et porte son attention à leurs formes et à leurs designs. Capturées dans plusieurs endroits du monde, les caméras apparaissent isolées sur fond bleu, semblables à des monstres métalliques.
Houssem Cherif, Variations d’un pattern, Collage évolutif © Houssem Cherif
« Juliette De Sierra », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

« Fais attention à toi, sois prudent·e, ne t’expose pas trop… » Une rengaine paternaliste, comme un murmure constant, que l’on chuchote aux femmes et aux minorités de genre. Dans l’espace public, il faudrait ne pas prendre trop de place, voire s’effacer au profit de la gent masculine, heureuse propriétaire de tous les territoires. 

Juliette De Sierra contourne cet impératif. Les personnes qu’elle photographie n’ont pas peur de gêner ou d’être exclues du paysage dans lequel elles se meuvent. L’artiste perturbe nos représentations genrées, troublées par les postures et les attitudes de ses modèles. En cavale, loin de la maisonnée, les sujets photographié·es ont le regard frondeur ou le rire insouciant. Dans le métro, en voiture ou en rollers, ielles se déplacent, libres de flâner et de choisir leurs trajectoires. 

Tirées en dos bleus, ses photographies sont par la suite affichées dans la rue. Dehors, l’artiste reproduit le geste performatif des colleur·euses féministes. Dans un même temps, elle s’approprie l’espace public et l’occupe avec des figures, qui en sont habituellement exclues. Avec ses photographies et ses collages, Juliette De Sierra crée ainsi des récits alternatifs et subversifs.
Juliette De Sierra, série Dévier ou En cavale, photographies argentiques, 2022 © Juliette De Sierra
« Sophia Eustache », la morsure du détour, Saint-Ouen (28.03.24 - 11.04.24)

La perte, le deuil, la rupture amoureuse… Les événements douloureux rythment nos vies. Chacun·e met en place des stratégies pour y survivre. Pour échapper au chagrin et à la nostalgie, il est parfois nécessaire que l’ironie côtoie le drame. Sophia Eustache invente des images pour (se) réparer. Elle mêle son intimité à une esthétique d’administration et de communication. 

S’éloignant du médium photographique, l’artiste usurpe les codes de la sécurité sociale, utilise des documents officiels dans ses oeuvres ou encore invente une agence de voyage, à la destination chimérique. Elle convoque l’imaginaire bureaucratique pour mieux déstabiliser les spectateurices. Grâce à cette mise en scène du travail salarié et indépendant, une distance humoristique s’installe entre les sujets difficiles évoqués et ce qui est montré. Si Sophia Eustache réinstaure de la légèreté, elle nous invite également à une réflexion sur nos besoins et notre surconsommation. L’emploi de l’intelligence artificielle est récurrent dans sa pratique et questionne notre rapport aux mots et aux représentations.
Sophia Eustache, Les Inavouables, série entre photographies et documents, cadres et éléments divers pliés, 2024 © Juliette De Sierra