« Soraya Rhofir. Une brèche », Exposition des lauréates du prix Novembre à Vitry, Galerie municipale Jean Collet, Vitry-Sur-Seine (18.11.23 - 21.01.24)

Lorsque l’on s’approche des peintures et des collages de Soraya Rhofir, on s’accroche aux couleurs vives, criardes parfois, qui s’entrechoquent comme dans un bal populaire. On croit reconnaître des visages, les contours d’un dessin animé ou d’une pin-up au corps pixelisé. Parsemées de références à la pop culture, aux mythes antiques et contemporains, les images auxquelles nous confronte l’artiste semblent teintées de naïveté. Derrière les sourires figés et la candeur apparente, ces représentations figuratives ont pourtant un aspect effrayant. Archétypes dans lesquels chacun·e a la possibilité de se projeter, leur familiarité instaure en nous un malaise incongru, une inquiétante étrangeté.

Glanées sur internet ou via des CD-ROMS, les images sont déplacées de leur circuit habituel de diffusion. Un protocole mouvant est mis en place par l’artiste : plusieurs techniques se superposent afin d’effectuer ce détournement. Retirées de leurs contextes d’origine, ces images sont imprimées, reproduites, peintes, découpées et/ou assemblées. À travers ses collages, qui mêlent différentes textures et matériaux, Soraya Rhofir nous invite à gratter à la surface de ce qui nous est usuellement montré. Avec une colère sourde, elle nous incite ainsi à nous interroger sur les effets que produisent sur nous les images et en quoi elles modèlent nos perceptions. En détournant leur circulation habituelle, l’artiste permet aux représentations d’échapper à une seule et unique interprétation. Soraya Rhofir créé une brèche dans le réel : elle le double d’une trame, qui laisse apercevoir, au creux de ses œuvres, des strates invisibles et des adresses cachées.

Par ce déplacement, elle postule la possibilité d’une émancipation des images. Des silhouettes étonnantes se dessinent au loin, dans l’atelier de l’artiste et dans l’exposition. Elles s’aventurent debout, ignorent notre présence et observent les peintures qui se trouvent devant elles. Ces standees miment notre contemplation des œuvres. Avec ces figurant·es peinturluré·es, Soraya Rhofir opère un retournement. D’un geste, ces présentoirs à forme et taille humaine montrent ou sont montrés par leurs homologues dessinés, comme si les œuvres s’exposaient indépendamment de nous. Les images produites par l’artiste existent en-dehors de notre regard et au-delà – ou en amont – du système de monstration. L’exposition devient alors un matériau supplémentaire pour concevoir un grand collage : elle est le support d’un récit sous-jacent, empli de passages secrets et d’images muettes qu’il appartient aux spectateurices de dévoiler.
Soraya Rhofir, Nettoyer, 2023, installation © Soraya Rhofir