« Sous la peau »
À Mamina.
sous ton absence, la maison
s’écroule.
180 mètres carrés de peau étirée
de peau arrachée
de peau écorchée.
et un jardin
et
la tombe du chat
et
celles des oiseaux et des trognons de pommes.
parmi les souvenirs et les herbes
folles,
le sang coagule.
tou·tes les habitant·es de la
maison ont disparu.
à son seuil, je m’enveloppe dans un
cri silencieux
- un
long manteau d’abnégation
-
un habit-insomnie.
j’avance les yeux crevés
les lèvres fermées
puis :
il n’y aura plus jamais de sourires
de tendresse
d’histoires après le café.
il n’y aura plus jamais d’été
d’enfance
de
nougat glacé.
je
me cogne aux murs
insensible
je
tombe dans les escaliers
une vie en carton
une vie en désordre
une vie froide rouge nuit
je me sens obligée
je me sens obligée de faire ces
gestes qui tordent
les bras
et
le visage :
plier les draps
trier les magazines
déchirer le papier peint
-
celui sur lequel le grand-père a dessiné, aussi.
peut-être découpera-t-on
soigneusement le croquis déguisé en carafe ombragée
peut-être pas
et
ce vestige s’oubliera
effacé
par les années et l’esprit encombré de meubles
et
de non-dits.
la poussière s’infiltre entre mes
phrases et les lames du parquet
sensation d’être au mauvais endroit
le cœur-groseille
le corps-épine
: mauvaise graine.
dans la cuisine,
dans la chambre,
dans le salon,
sans toi,
les objets n’ont plus d’âme
dans la salle de bain,
dans le grenier,
dans le couloir,
sans toi,
cassure morsure déchirure.
180 mètres carrés de peau morte
de plis et de replis
de tristesse.
180
mètres carrés et pas une seule fenêtre…
enfermée,
les paupières grises sous un ciel inexistant
cloîtrée,
en-dehors du monde et du corps…
je croise mon reflet dans ton
miroir
alors :
je marche sur du verre pour me
souvenir
me souvenir de ce que c’était
d’être auprès de toi.
alors :
la chair de ta chair
tes joues douces et mes mains
noueuses.
Mamina,
il n’y aura plus jamais de mots
nouveaux
de
phrases répétées
de
biffures sur les lettres
du
prénom mal prononcé.
Mamina,
sous ma peau, des milliers de
cellules sont à toi
et
pourtant,
tu
n’es plus là.