Zoé Bernardi, Tondue, 2023 © Zoé Bernardi

«Zoé Bernardi. Devenir soi »

« Être en marge de notre propre vie, sans y adhérer (1) ». Une sensation qui gratte de l’intérieur. Comme un costume trop étroit ou un masque mis de travers. Sous nos oripeaux, une faille se creuse. Il faudrait s’arracher de soi-même pour atteindre sa véritable identité. Quel bruit produit cette rupture interne ? On entend du verre brisé, des pleurs étouffés ou le craquement d’une terre asséchée. Pour Zoé Bernardi, c’est le son assourdissant d’une tondeuse électrique, s’approchant de sa chevelure.

Marqueurs de genre, les cheveux des femmes ont été érotisés et fétichisés par le regard patriarcal. Leur disparition progressive, leur chute soudaine et leur tonte brutale sont associées à des actes de violence – le signe d’une douloureuse maladie ou d’un châtiment humiliant. Cette absence capillaire est visible et parfois source de stigmatisation et d’exclusion sociale. Elle transforme les femmes en des monstres chauves, pointées du doigt ou regardées avec pitié. Zoé Bernardi se défait des injonctions d’une beauté aux cheveux longs. Dans sa vidéo Tondue, elle trahit ainsi cette féminité factice et se réapproprie son corps, mue par un désir de faire «peau neuve» et de «changer de tête». Un élan joyeux et libérateur, sans motif particulier. Il n’y a pas d’avant, tout au plus un après. La rupture se niche dans ce geste, accompli avec tendresse par le père de l’artiste. Dans l’intimité de sa chambre d’enfant, Zoé Bernardi se met à nu. Les plans sont serrés sur les visages, patients et paisibles ou crispés par la douleur. Quelques mots s’échangent, tandis que les mèches tombent. Sous le grésillement de la tondeuse, une proximité se tisse.

Comme un rituel, la tonte se répète. Sur le père, qui se dépouille de sa tignasse, symbole d’un passé dont il souhaite se débarrasser. Puis, sur ses ami·es, Camille et Alexandre, dont les corps portent les séquelles de maladies ou d’handicap. Traces d’instants partagés, chacune de ces séquences nous raconte une histoire singulière, drapée de vulnérabilité et d’émancipation. Ses vidéos invitent les spectateurices à s’immerger dans cette familiarité où l’on prend soin les un·es des autres. Avec la tonte, l’artiste se dépouille d’une identité façonnée par l’extérieur et affirme son existence, qui oscille entre désobéissance et délicatesse.


(1) Claire Marin, Rupture(s),  Editions de l'Observatoire, 2019