« Ta langue sent la solitude », Nuit 3, 30 mars 2024
Elle
t’observe, de l’extérieur. Même dans la nuit, elle te distingue. Elle reconnait
le bruissement de tes pas. Le miaulement de ta bouche. Elle se souvient des
murmures contre sa peau. De ta silhouette courbée. Du ventre gluant. Des corps élastiques.
Il pleut dehors. La vitre suinte, tandis que ses lèvres s’entrouvrent. Des mots
creux, sûrement. La nuit les engloutit comme dans un rêve sans image. Et
soudain, tu as la trouille, de l’autre côté du grillage. Elle te voit fuir,
seule dans le noir d’une salle d’exposition.
Pour te
soustraire à son regard, il t’a fallu emprunter des détours. Contourner les
pièges d’un soleil absent et t’engouffrer dans un escalier métallique.
Farouche, tu te calfeutres sous un halo violet. Tu espères secrètement être
dévorée par les ombres. Raté. Sur les murs, tu croises ton reflet gondolé.
Jamais, tu ne te reconnais. Des rides électriques parcourent ton visage. Des
lianes sans racine, sans vie ni chaleur. Un visage informe, anonyme. Des portes
se claquent et des plantes meurent, sous les couinements d’un triste mécanisme
rouillé. Tu crois sentir du sang couler entre tes jambes. Cela fait mal, comme
la succion d’un moustique que l’on écrase.
Pourtant, tu n’es pas émue, face aux archives
d’un monde en ruine. Tu ne crois pas au grand tout, à chacun·e sa place, à la
résilience etc. Elle se moquait de toi, de ton pessimisme joyeux, avec ou sans
sarcasme. Tes fantômes ont un goût âcre et l’odeur d’un marécage. Dans sa
bouche, ta langue sent encore la solitude.
Dans le cadre de la Biennale Nova_XX, curatée par Stéphanie Pécourt, au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris.