« Léa Guintrand. Technicentre », collection Frac Île-de-France, 2024.

Photographie en mouvement ou vidéo immobile ? La frontière entre les deux médiums est parfois poreuse. Suspendues, presque à l’arrêt, les images de Léa Guintrand se saisissent d’un entre-deux séduisant.

La vidéo Technicentre formule une invitation, celle de regarder les à-côtés. De se laisser surprendre par les backstages. En 2021, dans un Paris morne, évidé par la pandémie de Covid-19 et éreinté par les confinements successifs, l’artiste capture des instants qui semblent n’entretenir aucun rapport entre eux. Des motifs se répètent, comme dans un collage hybride. La douceur des enfants et leur gourmandise succèdent aux actions des travailleurs – à ces gestes d’entretien de la mécanique des trains du réseau Ile-de-France et ceux des restaurateurs, qui découpent, pétrissent, emballent ou cuisent. Les mouvements sont précis, techniques et étrangement familiers. Le titre Technicentre renvoie quant à lui à un lieu caché à la périphérie et consacré à la maintenance du matériel de la SNCF. Léa Guintrand révèle ainsi l’envers d’un environnement urbain, aux contours que l’on pense pourtant bien définis. Elle s’introduit dans ce quotidien silencieux, par le biais de la forme, de la lumière ou de la texture. Les plans sont rapprochés et attentifs à des détails. Projetée en grand format, la vidéo devient immersive, sensuelle voire monstrueuse. La matière occupe tout l’espace : au lustre exigeant du métal des transports ferroviaires répondent les aspérités de la nourriture manipulée et dévorée.

Les narrations s’entrecroisent, sans créer un récit unique et linéaire. Léa Guintrand cultive l’attente. Le retardement de l’action attise le désir inconscient d’un climax, d’une intrigue et de son apogée. Cette maitrise du teasing, héritée d’un imaginaire commun, rejoue les codes du cinéma et de la publicité tout en décevant ces spectateurs et potentiels consommateurs. La caméra continue de tourner et le charme lisse du marketing est rompu. C’est dans cet « un peu après » que l’image se constitue.