« Le dos rouge », Nuit 2, 12 décembre 2021
Les empreintes de pas habitent le sol gris-miroir ; les poussières d’hiver se glissent dans les
recoins ; la vie grignote et je ne l’entends pas... Dans la lumière artificielle des lampadaires
montreuillois, les traces de l’extérieur se brisent, fracturées par l’absence. Le public flâneur,
distrait par les couleurs bleutées qui émanent des soupiraux, n’y a plus accès. Demain, le livre
d’or aux pages cornées sera le seul témoin. Il n’y aura plus personne pour se courber, se hisser
sur la pointe des pieds et inspecter les recoins de cette salle d’exposition inanimée. L’espace
sera bientôt vide – j’y laisse quelques cheveux, des miettes sur la table et des souvenirs de
janvier 2020.
Sous ma langue, les feuilles mortes se chamaillent, tandis que le corps démange. Le vin se mêle
à la peau rougie-grattée-cachée. Jusqu’au sang, si l’on pouvait : s’écorcher le visage céramique,
s’arracher le costume lambeaux, se débarrasser des barreaux mirages devant les yeux. Mes
lèvres craquellent comme des mots que l’on n’ose pas prononcer. J’écoute le cliquetis des
claviers d’ordinateur s’harmoniser avec l’horloge de l’accueil. À côté de moi, il y a le bruit de
la pluie et de l’indicible.
Je me recroqueville sous une marquise sépulcrale, au seuil d’un endroit qui n’existe pas et que
je n’ai pas envie d’imaginer. Un vêtement suspendu est laissé là. J’aimerais qu’il appartienne à
quelqu’un·e qui me manque, que j’aime, pour m’en saisir sans culpabilité. Ne pas toucher, ne
pas sentir, ne pas caresser des objets-fétiches qui ne sont pas les nôtres. Face à moi, derrière le
mur imposteur, se déploie un monde que je ne connais pas. À l’intérieur des soupiraux, des
tuyaux-serpents décapités font résonner en moi le goutte-à-goutte d’une fuite d’eau irréparable
– celle de mes yeux embués lorsque la nuit tombe sur mon rêve.
La bulle que je me suis créée pour pouvoir écrire s’étiole... Je pourrais raconter ce que ces
fenêtres m’évoquent – ou plutôt, ce que les trous béants dans leurs grillages sous-entendent. La
musique dans mes oreilles grésille : ce sont les bruits de la rue qui s’éveille. Je ne parviendrai
pas à composer davantage et ce texte restera à jamais inachevé.
Dans le cadre de l’exposition System soupir de Lou Masduraud, curatée par Thomas Conchou, à la Maison Populaire de Montreuil.